La passion de Chris.

Ca aurait dû être LA séance de sa vie. Et en quelque sorte, ça l’avait été. Tout avait été planifié, discuté, approuvé. Il avait souffert, il avait joui, il avait exulté. Tout le village avait accepté de participer, ça avait été grandiose : une reproduction grandeur nature de la passion du Christ. Si seulement…

Loin de toute pensée religieuse, Chris avait organisé cette mise en scène pour assouvir sa passion pour le BDSM. Une passion récente, il faut bien le dire, et il n’était pas vraiment au fait de tous les détails techniques ni de ses propres limites. Mais il voyait grand, il voyait loin, il avait été marqué par le jeu d’acteur de Mel Gibson et il voulait faire pareil.

Et le plaisir avait été immense pour lui. La couronne d’épines, la croix qui lui écrasait les épaules, les pierres et les coups de fouet, les insultes et les injures… il avait tout savouré avec délectation. C’est une fois installé sur la croix qu’il avait commencé à paniquer. Le villageois chargé de l’attacher avait été trop zélé, il avait apporté un stock de vieux clous rouillés. Curieusement, Chris n’avait pas eu mal quand la pointe du premier clou s’était enfoncée dans sa paume, c’est le coup de marteau mal ajusté du villageois sur ses doigts qui l’avait refroidi tout net.

Il avait alors crié le « safeword » qui avait été choisi à l’avance, sans succès. Le villageois amoureux du travail bien fait, comme en transe, continuait à enfoncer avec entrain et méthode les clous rouillés tous les dix centimètres le long des bras et jambes de l’infortuné, en criant en chœur avec lui :

— Crocodile ! Crocodile !

Dans l’assistance, on avait repris ses exclamations avec enthousiasme sans trop comprendre pourquoi Chris braillait ainsi. Après tout, c’était son trip, s’il avait voulu tout arrêter il aurait crié « Ornithorynque » !